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Actualités News

Filtering by Tag: nations unies

Michaëlle Jean plaide avec ardeur pour un second mandat à la tête de l’OIF

Philippe Duhamel

Élue en novembre 2014 à Dakar à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean est candidate à un second mandat de Secrétaire générale, face à la rwandaise Louise Mushikiwabo, ouvertement soutenue par Emmanuel Macron. Mais « fière » du bilan de son premier mandat, Michaëlle Jean n’entend rien lâcher et s’affirme « déterminée à [se] me battre jusqu’au bout pour la Francophonie ». Rencontre, à la veille du Sommet de l’OIF à Erevan, où se jouera l’élection…

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Mobilisation de haut niveau contre les violences faites aux femmes

Philippe Duhamel

« Ne nous y trompons pas, nous ne mettrons pas un terme aux violences, dans quelques contextes qu’elles surviennent, sans un travail en profondeur visant à l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’éducation, et à l’autonomisation économique des femmes. »

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« Partir : entre droit et nécessité »

Philippe Duhamel

Conférence de cloture des Rendez-vous de l'Histoire de Blois sur le thème « Partir : entre droit et nécessité », présentée par Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie et présidente de la 19e édition des Rendez-vous de l’histoire. 


 

[...]
Plus les évènements sont graves, plus ils sont inquiétants, dérangeants, plus nous avons la nécessité de recourir à l’histoire. 

Je pense, en cet instant, à cet immense historien, Fernand Braudel, qui expliquait que « l’histoire est une opération intellectuelle enracinée dans les temps présents... sur les questions que nous nous posons... les questions intelligentes... les questions pas intelligentes... les questions qui nous préoccupent... de savoir si ce qui pèse sur notre vie s’éclaire, d’une certaine façon quand on regarde la situation des hommes il y a 50 ans, 100 ans ou même davantage. » 

Et faisant la part entre les évènements...les conjonctures et les structures... entre le temps court, le temps moyen et le temps long, Fernand Braudel nous invite ainsi à revenir au temps long pour comprendre un phénomène... pour mieux répondre à nos problèmes du moment... pour mieux gérer l’inquiétude et la peur.

Et, de fait, ce début de 21ème siècle est, comme jamais, scandé par, oui, l’inquiétude et la peur. 

Nous avons peur des excès et parfois des dérives de la mondialisation. 

Nous avons peur du chômage. 
Nous avons peur pour l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants, 

Nous avons peur pour l’avenir écologique et démographique de la planète, 

Nous avons peur de la menace terroriste. 

Et certains aussi ont peur de voir se perdre leur identité et l’afflux de réfugiés et de migrants les déstabilise. 

Et l’on voit bien les réactions de repli face à l’afflux de ces millions d’hommes, de femmes, d’enfants qui sont eux confrontés au plus cruel des dilemmes : partir...partir en abandonnant tout... partir ou mourir. 

Partir ! Combien ce verbe, qui évoque la plupart du temps la liberté, le dépaysement, l’aventure, la rencontre, combien ce verbe est faible, cela étant, pour décrire ce qui motive les exils forcés.  

Pour certains, c’est la violence quotidienne, les bombardements incessants, les attentats meurtriers, la destruction de quartiers, de villes entières, les morts qu’on ne peut même plus ensevelir, les blessés qu’on ne peut même plus soigner. 

Pour d’autres encore, c’est la dictature, les persécutions, la torture, les emprisonnements arbitraires, le non droit d’être différent. 

Jamais les réfugiés et les déplacés forcés n’ont été aussi nombreux depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. 

Ils sont, en 2016, 65 millions à avoir fui les conflits. Des conflits qui sont quasiment les mêmes depuis 25 ans. 

Des conflits orphelins, des conflits que nous n’avons pas su ou que nous n’avons pas voulu résoudre. 

Voyez la situation en Afghanistan, par exemple, en Irak, en Libye, en Somalie, au Soudan, et en ce moment même en Syrie, à Alep, ville martyre.

Depuis le temps, ni vous, ni moi ne pouvons dire que nous ne savons pas.

Ce qui a poussé 165 millions d’autres à devoir quitter leur habitation pour fuir vers les villes, entre 2008 et 2013, ce sont les catastrophes naturelles, les conséquences désastreuses du réchauffement climatique : la disparition de leurs maigres terres de subsistance, à cause de la désertification ou de la montée inexorable des eaux ou encore à cause de l’accaparement mondialisé des terres agricoles à des fins spéculatives. 

Toutes les catastrophes naturelles, ne le sont pas.

Depuis le temps, ni vous, ni moi ne pouvons dire que nous ne savons pas.

Et l’ONU nous alerte : plus de 250 millions de réfugiés climatiques devraient être déplacés d’ici à 2050.

Déplacés forcés, réfugiés politiques, réfugiés climatiques. La nécessité toujours de catégoriser, d’inscrire dans des cases et d’aligner dans des colonnes et de les différencier, jusque dans leurs droits : ces désespérés cumulent souvent tous les fléaux. 

Et je n’ai pas encore prononcé "migrants économiques", ces millions d’hommes, de femmes, de jeunes qui ont la pauvreté en héritage, génération après génération, qui ne jouissent même pas du minimum vital, qui continuent à mourir de maladies que l’on sait et que l’on peut désormais soigner, mais… sur d’autres continents... qui ont le sentiment que leur avenir est irrémédiablement bouché. 

Depuis le temps, ni vous, ni moi ne pouvons dire que nous ne savons pas.

Comment voulez-vous que des hommes, des femmes, des jeunes, dans de telles situation ne soient pas tentés par l’Eldorado, certes souvent illusoire ? 

Alors qu’ils voient désormais chaque jour sur leurs écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone portable, l’opulence dans laquelle, pour eux, pour elles, nous évoluons... même si les pays du Nord ont aussi leur quart monde. 

L’écrivaine sénégalaise Fatou Diome l’a très bien exprimé lorsqu’elle écrit :

« Ces millions d’hommes, de femmes, d’enfants qui savent au plus profond d’eux qu’il leur faut ou partir et vivre, ou rester et mourir. Partir sans se retourner. On ne se retourne pas quand on marche sur la corde du rêve. Aller voir cette herbe qu’on dit tellement plus verte là où s’arrêtent les dernières gouttes de la mer, là-bas... là où les mairies payent les ramasseurs de crottes de chiens... là où même ceux qui ne travaillent pas perçoivent un salaire... Partir, donc, là où les fœtus ont déjà des comptes bancaires à leur nom et les bébés des plans de carrière... Et maudits sont ceux qui s’avisent à contrecarrer notre volonté ! Aujourd’hui donc, un corps prendra, animé, le chemin de l’aller ou le chemin, inanimé, du retour. » ...
...

Il faut pouvoir s’associer au sort de l’autre. 

Il faut se souvenir aussi. 

Combien parmi vous dans cette salle sont surement les enfants, les petits enfants de migrants ou d’immigrants arrivés en France pour y trouver une vie ? Combien ?

Combien parmi vous dans cette salle sont surement les enfants, les petits enfants de parents, de grands parents qui durant la guerre ont dû fuir sous les bombes, déplacés forcés, poussant devant eux des tombereaux, 
des charrettes, des poussettes, fuyant, dépossédés, déboussolés...? Combien ?

Souvenons-nous... imaginons ce qu’il faut de courage, ce qu’il faut d’énergie, de détermination, de résistance physique et morale pour partir, pour aller jusqu’au bout du voyage : que le désert... la mer... les trafiquants... les passeurs... les combattants de Daech... transforment parfois, durant des mois, en un véritable enfer. 

Partir et vivre. 
Rester et mourir. 

Mais combien de fois, partir et finalement mourir quand même.

Nous avons la mémoire courte ! 

Nous avons l’émotion courte !

Combien d’hommes, de femmes, d’enfants sur le sort desquels nous nous sommes sincèrement émus... le temps d’une couverture de magazines ou de reportages télévisés ? 

Dans ces moments-là nous formons une belle unanimité pour déclarer que cela est insupportable ! 

Et pourtant les jours se suivent et se ressemblent tragiquement.

Ils ont été des milliers à mourir dans le silence et l’anonymat depuis les images choc, en octobre 2013 de ces 366 naufragés venus de Libye et retrouvés près de l’île de Lampedusa... si près du but...si près de la délivrance.

Images choc d’avril 2015 : 800 migrants, venus d’Afrique de l’Ouest, meurent dans le naufrage d’un chalutier au large des côtes libyennes.

Images choc d’août 2015 : 71 migrants, retrouvés asphyxiés dans un camion frigorifique venu de Hongrie et abandonné au bord d’une autoroute autrichienne.

Et quelques jours plus tard, la photo bouleversante de ce petit de 3 ans, Alan Kurdi, en tee-shirt rouge et bermuda bleu, le visage enfoui dans le sable d’une plage de Turquie...Tapez Alan Kurdi sur Google et vous aurez son histoire, des photos de lui vivant... Il a un nom... mais combien restent et resteront à jamais anonymes...

Plus jamais ça ?! Cela est insupportable ?! Et pourtant... depuis 2014, ils ont été plus de 10 000 à perdre la vie, pour la plupart en Méditerranée centrale. 

Cela se passe sous nos yeux.

Alors si je suis ici, aujourd’hui, c’est aussi pour témoigner. 

Enfant, j’ai connu cette dure épreuve avec mes parents, comme des centaines de milliers de familles haïtiennes : devoir tout quitter dans l’insécurité la plus totale...tout laisser derrière soi... prendre le chemin de l’exil sans plus rien à soi... pour échapper à la répression... aux violences quotidiennes les plus atroces... à la pauvreté extrême sous le régime dictatorial, sanglant et corrompu de François Duvalier. 

Chaque jour, je pense à la chance que mes proches et moi avons eue de sortir vivants de ce cauchemar... Et je veux dire la chance que nous avons eue de trouver asile au Canada pour refaire notre vie et en devenir des citoyens à part entière. 

Qui eût cru qu’un jour la petite réfugiée haïtienne que j’étais serait appelée à occuper la plus haute fonction de gouverneure générale et commandante en chef du Canada, et aujourd’hui celle de Secrétaire générale de la Francophonie ?

Il n’empêche que chaque jour... sachant d’où je viens, je pense aux centaines de milliers d’autres de mes compatriotes haïtiennes et haïtiens dont les corps ont été broyés par la répression ou qui ont péri en mer. 

Je pense à ceux et celles qui affrontent encore le pire, poussés par le désespoir, et qui ne représentent qu’une froide statistique d’anonymes classés dans la colonne réfugiés et migrants.  

Le temps me manque pour partager avec vous ce qui nous poussait à prendre le large, l’horreur... ce qu’il nous a fallu de force, à nous, les survivants, pour renaître de nos blessures, repartir à zéro, nous reconstruire ailleurs. 

Nous arrivions dépossédés, mais riches de tout ce que nous sommes et de notre courage et de notre détermination.

Nous, les survivants nous nous demandons toujours si notre histoire et nos souffrances auront compté.

En cet instant, je pense, en écho à ma propre histoire, à ces millions de personnes, en ce moment même, apeurées, à jamais traumatisées.

Mais je pense aussi à ces mains généreusement tendues à notre arrivée au Canada, à tous ces regards apaisants, réconfortants, fraternels, s’informant de qui nous sommes, d’où nous venons, comment nous allons... 

Je pense à ces moindres gestes, ces soutiens déterminants qui ont contribué à notre reconstruction.

Tout cela me renforce dans l’idée que la première approche que nous devons adopter face à ces mouvements migratoires, c’est une approche humaine et humaniste. 
Si nous ne parvenons pas à dé-cadenasser nos cœurs, à briser les chaînes de nos égoïsmes et de notre indifférence, à dissiper nos tentations de repli et de rejet de l’Autre... pour retrouver au plus profond de nous-mêmes notre part commune d’humanité... nous ne parviendrons jamais à ouvrir nos esprits à la raison et à la réalité telle qu’elle est...Et c’est la stabilité du monde qui sera alors gravement menacée.

Si nous ne parvenons pas, individuellement et collectivement à opérer ce travail en nous-mêmes et sur nous-mêmes, nous continuerons sur la voie suicidaire où les politiques d’opinion tiennent de plus en plus lieu de politiques migratoires, tant au niveau local, régional qu’international. 

Le thème de l’immigration et de l’accueil des réfugiés a envahi dangereusement, parfois même de façon nauséabonde, le débat politique. 

Promesses d’immigration zéro et de fermeture totale des frontières pour les plus extrêmes, immigration choisie, reconduction et surveillance renforcée aux frontières pour d’autres, quotas de réfugiés à se répartir entre pays européens... comme on fixerait des quotas pour le lait. 

Les propositions, les solutions, les promesses fleurissent, surtout en période électorale où la surenchère est de mise. 

Une surenchère indigne des valeurs républicaines et des valeurs universelles. 
Une surenchère irresponsable, car ce n’est pas en cherchant à plaire à une opinion publique, inquiète, souvent mal informée, voire désinformée, que l’on pourra mettre en œuvre les politiques responsables qui s’imposent.

Alors, commençons par rétablir les migrants et les réfugiés dans leurs droits.

Oui, partir est un droit fondamental dont tout individu peut se prévaloir partout dans le monde au nom de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 

Il faut, à titre individuel, que nous gravions dans nos esprits, il faut que les Etats inscrivent au fronton de leurs frontières : les articles 13 et 14 de cette Déclaration de 1948 qui reconnaissent, je cite, à : 
« Toute personne le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 
Le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Le droit, devant la persécution, de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.
 » 

Ces droits ont été précisés et affinés par la Convention de Genève de 1951, enrichie du protocole de 1967, qui décline les droits des réfugiés et les obligations des Etats.
Et puis il y a la Convention des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Cette Convention date de 1990, soit presque 30 ans, et bien pourtant, Mesdames et Messieurs, aucun pays du Nord ne l’a ratifiée ni signée !

Comment imaginer, alors que la mobilité, qui a scandé et oxygéné l’histoire de l’humanité, à toutes les époques, - et les historiens nous le rappellent -, comment imaginer que l’on pourra, encore longtemps, refuser, à des centaines de millions d’êtres humains, la possibilité de jouir de cette mobilité qui est devenue le label de la mondialisation : mobilité des capitaux, mobilité des marchandises, mobilité des facteurs de production, mobilité des entreprises, entre autres choses.

Comment imaginer que l’on pourra, encore longtemps, laisser persister cette injustice entre ceux et celles qui peuvent sortir et entrer librement dans tous les pays du monde... et ceux et celles qui peuvent sortir mais ne peuvent pas entrer dans les pays de leur choix ? 

En 2016, il y a encore deux tiers, je dis bien deux tiers, de la population de la planète qui ne peut circuler librement faute d’obtenir les visas d’entrée nécessaires alors que beaucoup de gens cherchent à circuler, non pas à s’installer.

Comment imaginer que c’est en érigeant des murs et des miradors, en déroulant des centaines de kilomètres de barbelés, en multipliant les contrôles à la frontière ou les patrouilles en mer que l’on dissuadera de partir, celles et ceux qui ont , pendant des mois, parfois des années, imaginé, financé, organisé leur périple pour échapper à l’innommable ?

Aucun mur ne peut ni ne pourra arrêter le désespoir ! 

Et c’est la mafia des passeurs, qui augmente d’autant le prix des traversées, que l’on fait prospérer en agissant ainsi. 

Il y a même, dans certains pays, des sociétés privées, tout à fait honorables, qui ont compris combien le « marché du migrant » pouvait être lucratif ; qu’il s’agisse de livrer des camps de rétention, clefs en mains, ou d’organiser les reconduites à la frontière. 
Et puis cette politique sécuritaire a un coût...

Un coût humain, tout d’abord, au regard de ces centaines de milliers de vie abîmées dans la nécropole méditerranéenne ou le désert.

Un coût éthique, ensuite, au regard des droits et des libertés universelles.

Un coût financier, enfin. 

Ces sommes considérables ne pourraient-elles pas être mieux utilisées qu’à abonder, toujours plus, les budgets d’une politique de fermeture qui montre chaque jour son impuissance ?

Décadenassons nos cœurs, brisons les chaînes de nos égoïsmes et de notre indifférence, dissipons nos tentations de repli et de rejet de l’Autre, pour retrouver au plus profond de nous-mêmes notre part commune d’humanité et ouvrir nos esprits à la réalité telle qu’elle est.

Ouvrons nos esprits à la réalité telle qu’elle est, tordons le cou à tous les clichés et, d’abord, à cette idée dangereuse d’une Europe, d’une France, prise d’assaut, envahie par des flots ininterrompus de migrants dont certains mouvements politiques populistes et extrémistes ont fait leur fonds de commerce.

La réalité telle qu’elle est, ce n’est pas comme on le croit encore, comme certains le prétendent et le laissent croire, une déferlante de réfugiés et de migrants du Sud vers le Nord. 

Parce que désormais et cela depuis un moment, les pays du Sud accueillent en leur sol autant de migrants que les pays du Nord en voient venir.  

Autre réalité : ce sont les pays en développement, et non pas des pays du Nord, qui accueillent aujourd’hui 95% des réfugiés et des déplacés forcés. Et l’exode de ces populations, plongées dans un dénuement total, affecte directement, nous le savons les perspectives de développement des pays déjà tellement fragiles qui les accueillent. 

La Turquie, la Jordanie, le Liban accueillent 27% des réfugiés venus des pays voisins. 
Le Liban, ce petit pays de 4 millions d’habitants, où je me trouvais la semaine dernière, accueille, à lui seul, plus d’un million de réfugiés syriens, en plus des réfugiés irakiens et palestiniens, soit bientôt plus de la moitié de sa population. 

Pendant ce temps, l’Europe et ses 746 millions d’habitants peine à accueillir ne serait-ce que quelques dizaines de milliers de réfugiés et à assumer ses responsabilités éthiques et politiques.

Alors relativisons ! Envisageons enfin les faits dans une perspective globale. 
Peut-être pourrons-nous alors, commencer à aider, comme ils en ont besoin, les pays qui, eux, accueillent massivement des réfugiés. 

On ne peut pas gagner sur tous les tableaux : refuser à la fois d’accueillir les réfugiés et refuser d’aider, de venir en renfort à ceux qui les accueillent.

Autre réalité qui dément, encore, l’idée répandue des migrations massives du Sud vers le Nord :
Aujourd’hui les migrations internationales tendent à se régionaliser, à devenir des migrations de voisinage, de plus en plus.

Pour preuve, en Afrique, 1 migrant sur 2 se déplace vers un autre pays du continent et non pas vers un pays du Nord. On pourrait multiplier les exemples, dans les Amériques, au Moyen orient, en Asie et ailleurs.

Et c’est bien cette dimension régionale que l’Europe peine à intégrer et donc à gérer. 
L’Europe a choisi d’institutionnaliser les migrations et la mobilité au sein de l’Union européenne, dans l’espace Schengen, au nord de la Méditerranée, alors que les mouvements migratoires proviennent essentiellement du Sud de la Méditerranée. 

La réalité telle qu’elle est, ce n’est pas comme on le croit encore, comme certains le prétendent : des hordes de migrants venus manger le pain des nationaux et profiter de leurs avantages.

Les économistes, comme des études récentes du FMI et de l’OCDE démontrent que la contribution des immigrés à l’économie est supérieure à ce qu’ils reçoivent en termes de prestations sociales ou de dépenses publiques. 

Même dans un pays à faible croissance et à niveau de dette élevée, ce sont des tous petits nombres à intégrer par rapport à la population nationale ou européenne en général.  

Ce sont aussi majoritairement des jeunes qui ont envie de travailler, de créer de la richesse et d’élever le niveau social de leurs enfants. Ils vont donc produire, se loger, consommer, bref participer au dynamisme de l’économie. 

Sait-on aussi que les migrants économiques effectuent pour 360 milliards de dollars de transferts vers leur pays d’origine chaque année, soit trois fois plus que le montant de l’aide publique au développement que la communauté internationale débloque a grand peine. 

Permettez que la Canadienne que je suis devenue, et vous savez dans quelles circonstances, témoigne. 

Les réfugiés, les migrants n’arrivent pas les mains vides. Nous arrivons forts d’une incroyable volonté. 

Très vite, à moyen terme et, a fortiori, à long terme, nous contribuons. Les migrants, les immigrants, les réfugiés, permettent de doper la croissance du pays qui sait les accueillir : en leur accordant rapidement un statut légal, en leur donnant les moyens de réussir vite et bien leur intégration linguistique, sociale, économique et citoyenne. Le Canada s’est construit et se construit encore sur cette conviction. En y investissant des moyens, mais en en retirant de grands bénéfices.

La France, elle aussi, est connue dans le monde entier comme ce pays des droits et des libertés. Elle est aussi une terre historique d’accueil et d’asile. 

Votre Premier ministre est d’origine espagnole, comme la maire de Paris, la ministre de l’éducation nationale est d’origine marocaine, le précédent président de la République est d’origine hongroise, une candidate aujourd’hui à la présidence est d’origine sénégalaise, je pourrais en citer tellement d’autres et vous encore mieux que moi : toutes et tous Français. 

Alors, la France a tout pour, au niveau national, penser et engager des politiques d’intégration réussies et d’emblée une belle occasion de montrer la voie au sein de l’Europe.

Et puis, ayons la lucidité et le courage d’admettre que si nous sommes confrontés à une crise humanitaire d’une telle ampleur, c’est parce que voilà trop longtemps que nous fermons les yeux sur les inégalités qui se creusent, entre les pauvres, toujours plus pauvres, et les riches, toujours plus riches.

Voilà trop longtemps que nous fermons les yeux sur des conflits meurtriers qu’on a laissé s’envenimer, que nous fermons les yeux sur des régimes dictatoriaux, sur la corruption qui gangrène des pays potentiellement riches, mais où les populations meurent de faim, que nous fermons les yeux sur des régimes dictatoriaux qui appauvrissent leurs populations. 

Voilà trop longtemps que nous fermons les yeux sur la dégradation programmée de notre planète.

Et puis, voilà trop longtemps que la communauté internationale a renoncé à anticiper. Or l’anticipation est tout aussi cruciale que la lecture que nous devons faire du présent à lumière du passé et de l’histoire.

Ce qui est advenu en Irak, en Afghanistan, en Libye, même si les situations ne sont pas en tous points comparables, en est la plus funeste des illustrations.
Comment imaginer que ces pays, une fois détruits, totalement désorganisés, totalement démunis, retrouveraient rapidement, et seuls, le chemin du développement, de la sécurité, de la stabilité, de la démocratie et de la paix ? 

Quel terreau fertile pour tous les trafics, notamment les trafics d’armes et de drogues, et quel terreau fertile pour le terrorisme !

Comment imaginer que de telles situations n’auraient pas d’effets sous-régionaux, régionaux et désormais à l’échelle mondiale, difficilement contrôlables ?

Comment imaginer que de telles situations n’ouvriraient pas la boîte de Pandore, jetant sur les routes des millions de réfugiés – plus de 4 millions depuis le début du conflit en Syrie ? 

Nous avons abandonné des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à leur sort. Et nous continuons, jours après jour.

Anticiper, c’est aussi prendre en compte, dès maintenant, que dans 30 ans, il y aura 2 milliards d’habitants en Afrique, dont 1 milliard de jeunes de moins de 18 ans. 

Le plus grand drame pour la jeunesse africaine dès aujourd’hui c’est de se retrouver sans perspectives d’emploi alors même qu’elle est plus instruite qu’auparavant. Imaginez la frustration !

Anticiper, c’est aussi prendre en compte, dès maintenant, le déficit de main d’œuvre dont souffrira l’Europe en 2030, du fait de sa démographie déclinante.

Nous n’avons que trop tardé.

Il n’est que temps de réagir, de vouloir agir, non pas pour gérer ces flux massifs de réfugiés et de migrants, comme on gérerait des flux financiers, mais pour que le sort tragique et révoltant de ces millions d’êtres en souffrance fasse enfin l’objet, de la part de la communauté internationale, des Etats qui la composent, d’une approche respectueuse de la dignité et des droits fondamentaux de la personne, pour qu’elle fasse l’objet, aussi, d’une approche multilatérale globale, concertée et coopérative, cohérente et responsable. 

Pour avoir trop tardé, la communauté internationale est aujourd’hui dans l’obligation de tout mener de front, d’agir autant sur les causes profondes de ces mouvements migratoires que sur leurs manifestations tragiques. 

Agir sur les causes profondes, et là permettez que je témoigne en tant que Secrétaire générale de la Francophonie, qui rassemble sur les cinq continents des pays de départ, de transit, de destination et d’accueil. 

Agir de toute urgence sur les causes profondes en se donnant, enfin, les moyens, et en ayant surtout la volonté, d’honorer les engagements ambitieux et les objectifs d’un développement humain et économique durable que tous les pays de la planète ont adoptés en 2015. 

Agir de toute urgence en matière d’accès à l’éducation, de professionnalisation des jeunes, de soutien à leurs initiatives économiques et à celles des femmes. Et là, oui, Il faut soutenir de toute urgence l’autonomisation des femmes, reconnaître les droits et l’apport essentiel de cette moitié de la population mondiale. Il faut avec les jeunes et les femmes favoriser l’essor des économies de ces pays. Il faut contribuer à créer un environnement propice à la confiance et donc à l’investissement. Il faut accompagner la création, la multiplication et la viabilité des très petites, petites et moyennes entreprises et industries qui sont des moteurs de croissance et d’innovation. On investira ainsi d’emblée et massivement dans la création d’emplois décents, pérennes, épanouissants.

Et combien retrouveront ainsi l’espoir, de vivre bien, de pouvoir se construire un avenir auprès des siens, de pouvoir partir, mais librement, sereinement, partir pour savourer et découvrir le monde, partir à l’aventure, mais avec une terre qui nous retient et qu’on n’a plus ni le besoin, ni l’envie d’abandonner.

Pour y parvenir, chacun doit faire sa part, s’engager et se mobiliser. 

Il nous faut, et je le dis partout, changer les paradigmes traditionnels de la coopération, donateurs, bénéficiaires, pour agir en véritables partenaires : les organisations internationales, les gouvernements, les villes, les régions, le secteur privé, la société civile. 

Chacune, chacun ici d’entre vous, peut y contribuer. 

Il faut vouloir sincèrement renouer avec la solidarité et la fraternité, dans une véritable éthique du partage.

Tout en dénonçant avec la dernière des énergies, les préjugés et les discours haineux. 

Combien de torts créés, combien de préjudices infligés au nom de cette haine, et en raison de ces préjugés ? 

Saint-Exupéry disait : « Une démocratie doit être une fraternité, sinon c’est une imposture. »

Mesdames et Messieurs,
J’aurais eu encore tant de choses à vous dire, à partager avec vous.

Une dernière chose cependant, si vous le permettez, au moment où vous vous apprêtez Cher Jean-Michel Jeanneney, à dévoiler le thème de l’édition 2017 des Rendez-vous de l’histoire.

Vous avez, depuis la création, offert cette tribune prestigieuse de Blois aux différents Secrétaires généraux de la Francophonie : en 2000, à Boutros Boutros-Ghali, disparu, vous le savez, au début de cette année. En 2003, à mon prédécesseur, Abdou Diouf. Ils s’étaient exprimés, certains ici sûrement s’en souviennent, le premier sur le thème des utopies, comme moteurs de l’histoire, le second sur l’Afrique.

Alors à quand un ou une Secrétaire générale de la Francophonie qui viendrait parler francophonie?

Je vous assure qu’il y aurait largement de quoi nourrir une semaine de débats intenses et passionnants, programmer des manifestations culturelles polyphoniques d’une richesse inouïe.

Il y a tant à dire pour en finir avec tous les clichés qui, particulièrement en France, entourent la Francophonie : sur le contexte de sa création, sur ses objectifs, ses missions, les valeurs et les principes qu’elle promeut.

Il y a tant dire sur cette Organisation internationale, moderne, qui compte aujourd’hui 80 Etats et gouvernements je le disais sur les 5 cinq continents ; une Organisation qui agit au quotidien dans de nombreux champs d’intervention et d’expertise - politique, diplomatique, culturel, éducatif, linguistique, juridique, numérique, économique-, au plus près des populations et avec elles ; une Organisation qui est au cœur de toutes les urgences du monde ; une Organisation qui est entrée en résistance au nom de l’humanisme intégral qui l’anime.

Et puis, il y aurait tant à dire aussi sur la langue française qui constitue tout à la fois notre trait d’union, notre outil de coopération multilatérale solidaire et le vecteur de transmission de nos idéaux. Cette langue française dont les Français, ne mesurent pas encore assez les horizons infinis qu’elle leur ouvre, les partenariats économiques, intellectuels, éducatifs, culturels tout aussi infinis qu’elle leur permet,…

J’arrêterai là, tout en espérant vous avoir convaincus. 

— Michaëlle Jean

Cette conférence a également fait l'objet d'un article publié dans le journal Le Monde, édition du 16-17 octobre 2016 :  Rejeter les migrants, c'est refuser l'avenir.

Lire le discours en entier : http://www.francophonie.org/Discours-SG-Blois-RdV-histoire-47303.html

Revoir Obama, aux confluences de l'Histoire

Philippe Duhamel

Barack Obama a été élu Président des États-Unis, en novembre 2008. Sa première visite officielle à l'étranger, il l'effectue au Canada, comme le veut la tradition. On est en février 2009. À l'époque, les photos de notre rencontre à l'aéroport d'Ottawa avaient fait le tour du monde. Depuis, on m'a souvent demandé d'où venait cet immense sourire sur nos visages.

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